Une pause s'impose

31/10/2013 23:12

UNE PAUSE S’IMPOSE

I l lui a imposé le silence pendant 11 jours. Pour son bien, pour qu’elle arrête de se lever en pleine nuit pour lui écrire, pour qu’elle s’occupe d’elle :  « A raison de 3H de sommeil par nuit, inutile d’être un médecin pour savoir que tu vas vers l’épuisement, inexorablement , tout comme Honoré de BALZAC dont  je suis en train de terminer l’œuvre de la comédie humaine ». Il veut qu’elle se ménage 5H de sommeil par nuit minimum : « débrouille-toi pour t’organiser : trouve le temps d’écrire tout en dormant suffisamment ». Traduction : Supprime le temps de nos échanges « e-épistolaires » et vas dormir à la place. Elle s’était rebellée, avait protesté : cette correspondance, elle en avait besoin, c’était devenu tellement vital, tellement jouissif et enrichissant ! 11 jours de privation ! Rien que l’idée la faisait pleurer de rage !

Comment gérer cette absence, ce manque ?

Comment organiser ces nuits blanches ?

Comment éviter  ces réveils impromptus ?

Comment ne plus nourrir les attentes imposées par un cerveau en ébullition ?

Que fera-t-elle si elle ne peut plus se soulager ?

Leur conversation téléphonique a duré 2H. Ils ont raccroché à 20H00. Elle était bouleversée par ses propos. Elle comprenait combien il avait raison, combien il était urgent de casser ce rythme infernal. Mais à quel prix !  Elle a quitté son bureau, est rentrée chez elle avec toute sa tristesse et son amertume, a mangé rapidement, expliqué qu’elle était crevée, qu’elle allait se coucher, qu’ils devaient sortir le chien et est montée se déshabiller et faire sa toilette.  Elle a embrassé tendrement ses filles en leur expliquant qu’elle était épuisée, et à 21H00 elle était au lit avec ses boules Quiès pour s’assurer qu’aucun bruit ne viendrait la réveiller. Elle a séché ses larmes de fatigue et  de tristesse en se promettant de dormir d’une traite jusqu’à 7H le lendemain.

Ding ! Réveillée, elle ouvre un œil : son mari n’est pas là ou plus là ? Elle se retourne pour lire l’heure sur son réveil : 22H30 ! NON !!!!!

Pourquoi ?

Que faire ?

Aller lire pour se nourrir des mots de l’autre ?

Que lui reste-il à dormir ? Elle a déjà dormi 1H30. Pour faire une nuit de 5H il lui faut encore dormir 3H30. Si elle part du principe qu’elle doit se réveiller à 7H le lendemain, elle doit donc se coucher au plus tard à 3H30. Il est 23H00 quand elle fait ce constat : elle a donc devant elle 4H30 de solitude ! Une éternité et si peu à la fois. Alors quoi faire ? Se recoucher : inutile elle sent déjà que son esprit à repris le pouvoir, qu’il ne lui laissera pas le répit nécessaire pour s’assoupir. Elle doit ruser, le fatiguer, le satisfaire, pour que, repus, il la laisse en paix quelques heures encore.

Alors comme à chaque fois, elle descend, croise son mari qui, lui, monte se coucher, lui explique qu’elle va lire un peu et se recouchera plus tard. Mais elle sait pertinemment que son cerveau n’a pas faim des mots des autres mais des siens propres et qu’elle va devoir, comme à chaque fois, céder à cette pression irrépressible : écrire encore et encore. Jusqu’au bout de la nuit. Jusqu’au point final salvateur.

 Qu’est-ce qu’elle cache ?

Qu’elle est cette faille qu’elle cherche à combler depuis maintenant plus de 2 mois ?

Jusqu’où cette folie l’emmènera-t-elle si elle ne trouve pas le moyen d’y mettre un terme ou tout au moins de contrôler ce phénomène ?

Comment faire ?

 

Elle sait qu’elle va compter les jours et les nuits jusqu’à leur rencontre prévue le 12 après-midi : 11 ! Celle-ci étant la première. Ils ont convenu d’un second ‘premier rendez-vous’ plus de 30 ans après et étonnement il a choisi inconsciemment le même lieu qu’il y a 31 ans ! A 14H00 le Samedi 12 octobre 2013 sous l’arc de triomphe !

Flashback :

Samedi 19 juin 1982 : Elle a 18 ans et lui 19. Ils viennent de se rencontrer chez une amie à une soirée. Ils sont tombés amoureux pour la première fois, comme une évidence : elle est allée le chercher, le séduire, le ramener vers elle et cela n’a pas été trop difficile. Le courant est tout de suite passé. Et le premier rendez-vous fixé le mercredi 23 juin à 13H00 sous l’arc de triomphe.

Lundi 05 août 2013 : Elle retrouve un paquet de lettres  au sous-sol dans un sac et découvre, émue, les lettres de Chantal, Eléonore, Patricia, Patience et les siennes, celle de François. Dix lettres en tout plus une carte postale venant d’Angleterre dont elle ne peut deviner la date d’envoi.  L’émotion la submerge quand elle les relit trente et un an plus tard. Des lettres d’amour, toutes plus fantaisistes et gentilles les unes que les autres. A l’exception près des 2 dernières : des lettres de rupture à six mois d’intervalle ! Pourquoi ? Elle ne se souvient pas. Alors elle continue à fouiller et retrouve dans un autre sac au fond d’un placard du sous-sol tous ses journaux intimes : Elle sait ce qu’elle cherche en feuilletant fébrilement les pages noircies des cahiers : ETE 1982 ! Elle parcourt alors ses mots de l’époque, s’étonnant d’avoir déjà une plume pour son jeune âge. Ca se lit facilement, ca coule de source et elle reconnait déjà la fébrilité de l’excitation dans l’écriture de plus en plus ample et relâchée. Et les souvenirs se ravivent dans sa mémoire au fil de sa lecture. L’urgence de l’écriture se ranime aussi et elle reprendra son journal intime le jour même.

Flashforward :

Mercredi 02 octobre 2013 : il  va lui manquer. Elle pensera aux 10 dates importantes de sa vie qu’elle devra lui envoyer le 4 octobre pour la St FRANCOIS D’ASSISE. Il n’y a pas de hasard, elle lui a imposé cette date et bien sûr il a tilté !

Jeudi 03 octobre 2013 : Elle déprimera

Vendredi  04 octobre 2013 : Elle aura le droit de lui envoyer ses dix dates et de lui fêter sa fête. Un point c’est tout. Elle se chargera de créer le manque en lui. Il n’y a aucune raison pour qu’il n’en bave pas lui aussi !

Samedi 05 octobre 2013 : Elle essayera coûte que coûte de gérer ses insomnies au mieux. Elle ira le soir chez ses amis dont une de leur jumelle est la filleule de son mari. Ils fêteront à la fois les 15 ans de sa fille ainée et des jumelles de leurs amis.

Dimanche 06 octobre 2013 : C’est un dimanche, elle recevra Chantal et sa famille.

Lundi 07 octobre 2013 : Elle annoncera à son mari que le 12 octobre après-midi elle s’octroiera une demi-journée pour elle.  Sans plus de précision. Elle ne cherchera pas à lui mentir. Juste par omission. Elle qui aimait tant les Lundis depuis leur retrouvailles parce qu’ils étaient synonymes de nouveaux échanges « e-épistolaires » après la pause du week-end, elle n’éprouvera plus cette émotion à l’ouverture de sa boite e-mail.   

Mardi 08 octobre 2013 : comment iront alors ses nuits ? Aura-t-elle réussi à les dompter ?

Mercredi  09 octobre 2013 : L’échéance se rapprochant, elle aura reçu le fichier de François avec leurs dates entremêlées. Elle sera fébrile en découvrant son mail : en profitera-t-il  pour y ajouter un petit commentaire, petite fenêtre pour cesser ce jeu stupide qui la mine ? Elle commencera à penser aux dates de F. Que faisait-elle à ces dates-là ?

Jeudi  10 octobre 2013 : J -2 ! La tension montera. Elle pensera alors à la tenue qu’elle mettra. Elle sait déjà le parfum qu’elle choisira : « L’instant magique » de Guerlin. Elle s’achètera peut-être une tenue spéciale pour cet événement si spécial. Elle achètera  une clé USB pour y mettre le cadeau d’anniversaire de François : ses  lettres d’antan scannées et  ses nouvelles pour qu’il lui dise ce qu’il en pense. Il faut bien qu’elle se trouve un lecteur !

Vendredi  11  octobre 2013 : J - 1 ! Il faudra qu’elle prépare la clé USB, le dossier qu’elle voulait lui remettre et qui n’a plus de sens maintenant. Arrivera-t-elle à trouver le sommeil à quelques heures de ce rendez-vous ?

Samedi 12 octobre 2013 : J !!!! 9H30 : Elle emmènera sa cadette chez l’orthodontiste. Elle ne mangera pas beaucoup, se préparera pour son RDV et ira rejoindre le RER A en route pour son rendez-vous !  Elle n’oubliera pas de se munir d’un livre pour faire passer le temps.

Now :

Mercredi 02 octobre 2013

Il est 01 :03, elle va se coucher. Elle a mis un point final à cette nouvelle. Elle est soulagée, y voit plus clair mais le plus dur l’attend : Dormir !

Il est 4h00 : un quart d’heure qu’elle tournait en rond dans le lit à la recherche du nouveau plongeon mais son esprit s’y refuse. Quelque chose le taraude. Elle n’avait pas fini ! Il fallait vérifier avec l’aide de son ancien journal intime la date du RDV en juin 1982 : elle avait besoin du jour et de l’heure. Il faut qu’elle modifie le fichier, alors elle prend le journal, descend dans le bureau et allume l’ordinateur … Elle a dormi 3H de plus. Soit au total 4H30. Raté ! Mais elle n’a pas  dit son dernier mot : elle peut encore aller se recoucher quand son époux se lèvera à 4H45. Finalement, elle se met à espérer qu’une solution est possible, un nouveau rythme à trouver, une nouvelle discipline de l’esprit : un bras de fer entre sa volonté et son subconscient ! Le vertige la reprend. Une idée vient de germer et elle doit la noter pour une prochaine nouvelle à écrire. Cette fois-ci, c’est le bon point final.