Interlude3

30/10/2013 20:35

INTERLUDE 3 :TROMPE COUILLON

Elle n’en fini pas de se préparer : seule devant sa glace elle a d’abord essayé toutes ses tenues avant de trouver la bonne. Puis dans sa salle de bain, elle a pris une douche en se lavant les cheveux. Elle a fait sa mise en plis puis s’est attelée au maquillage. A quoi pense-t-elle durant tout ce cérémonial, pour qui se prépare-t-elle avec tant d’application ? Pour quel événement inhabituel : un rendez-vous professionnel, un premier rencard, une histoire d’amour à son apogée ou au contraire la fin d’une histoire ?

 

Elle s’est levée à l’aube pour être à la hauteur de l’évènement : 6H. Elle qui d’habitude dort comme un loir, elle ne pouvait plus dormir de toutes façons. Inutile donc de tourner en rond dans son lit !

A peine le pied posé par terre la voilà qui s’achemine vers son dressing : choisir la tenue adéquate ne va pas être une mince affaire. C’est qu’elle a tendance à l’embonpoint en ce moment, et ça, cela ne va pas l’aider à se sentir bien dans ses essayages. Mais cela va peut-être lui faciliter la tâche éliminant par défaut tout ce qui la moule trop ! Du coup elle sait qu’il est inutile d’espérer trouver un pantalon qui lui siéra : ce sera forcément une jupe ou une robe. Elle commence à sélectionner les articles en ce sens et se met à les enfiler un à un. Elle les classe méthodiquement en 3 groupes : Ceux qui ne lui vont plus et dont elle va se débarrasser, ceux qui lui vont mais ne lui plaisent plus, du moins aujourd’hui et enfin ceux qui ont à peu près grâce à ses yeux. Puis, d’un coup d’un seul, elle capte l’image se reflétant dans sa glace et elle sait qu’elle a enfin trouvé la perle rare : un e tenue qui lui va et qui l’amincit légèrement, une couleur bois de rose qui flatte son teint et est d’un classicisme de bon aloi. Inutile de pousser plus loin les essayages. Elle est déjà épuisée. Elle décide donc de mettre le premier tas dans un grand sac, le second  et le troisième sont rangés dans sa penderie à l’exception de la tenue choisie.

Elle passe dans la cuisine pour se faire un thé histoire de se requinquer un peu. C’est qui lui faut encore pendre sa douche, faire sa mise en plis, se maquiller, s’habiller et préparer la table, le déjeuner. La tâche lui parait tellement ardue maintenant. Prise d’un vertige tout à coup face à toutes actions à réaliser, elle doit s’accrocher au bord du plan de travail pour ne pas glisser sur le sol. Elle pense au plaisir qu’elle aura d’abord dans la fébrilité de l’attente puis dans ces moments d’intimité partagés, ils sont si rares !  Le malaise semble s’être dissipé, elle rapproche la chaise la plus proche et s’assoit avec soulagement sur la chaise salvatrice. Elle sirote son thé bien chaud et tout de suite le breuvage  se déverse dans ses veines, balayant d’un coup toute sa fatigue. Elle doit s’y remettre, se lève et se dirige vers la SDB. Elle y restera au total 3 heures au bout desquelles elle sortira métamorphosée : le trompe-couillon comme l’appelait sa mère a montré une fois de plus son efficacité : la voila l’air reposé , heureuse, rayonnante, ayant gagné 10 ans. Le regard plus profond, la peau de pêche sous la poudre, les lèvres redessinnées et cela change tout. Elle prend soin de glisser sur ses épaules un châle léger mais chaud, en soie, afin de parfaire sa tenue. Un§ coup d’œil dans la glace : c’est parfait.

 

Mais la voilà qui le retire, enfile un affreux tablier usé et taché : non ! ca ne va pas du tout ! Quand même, un minimum de décence ! Elle court dans l’armoire à torchon, chercher un tablier tout propre : le plus beau qu’elle puisse trouver, celui que son petit fils Eric lui a ramené de leur dernier voyage en Afrique : une maman guépard avec son petit trône au milieu d’une savane. Voilà qui est parfait pour démarrer un bon déjeuner. Il lui reste à peine 2H. Mais tout les ingrédients sont déjà dans le frigo attendant la magie chimique de la transformation en met succulent : elle va préparer sa fameuse blanquette de veau dont tout le monde raffole. Elle connait la recette par cœur et ça va aller vite. Une heure plus tard, la blanquette mijote doucement, les pommes de terre sont épluchées et trempent dans l’eau en attendant leur cuisson vapeur.

 

Elle change la nappe et met la table tout en sifflotant : l’heure tourne et elle sait maintenant que l’heure H est proche. Y penser pendant qu’elle s’affaire, c’est déjà en profiter un peu. C’est pour cela qu’elle est tout gaie et sifflote comme un pinson.

Au moment où elle allait dénouer son tablier, le téléphone sonne et son cœur ne fait qu’un bond. Elle ne peut s’empêcher de sentir une boule d’angoisse venir se coincer dans sa gorge. Elle décroche la voix légèrement éraillée : « Allo ? » .

« Bonjour Maman, désolé d’appeler si tard mais nous ne pourrons pas venir déjeuner comme prévu. J’ai un gros problème avec un client et je dois absolument boucler le dossier pour lundi ! Est-ce que l’on peut remettre cela à dans 15 jours quand j’aurai à nouveau les enfants ? »

Les larmes aux yeux, elle respire un grand coup pour lui répondre d’un air enjoué « mais oui bien sûr mon grand, pas de problème, travaille bien et à dans 15 jours. Embrasse bien les petits de ma part ! »

Ils raccrochent en s’embrassant à distance. Elle se sent vieille. Le trompe-couillon n’arrive plus à masquer son désespoir.  Elle ne remettra pas son châle en soie sur ses épaules voûtées aujourd’hui …