Alors on danse

30/10/2013 20:48

ALORS ON DANSE

Accompagnée de son fils de 10 ans, la jolie Sophie cherche du regard dans la foule qui grouille un visage familier. Près d’une heure qu’elle avance tout doucement vers l’entrée du stade de France dont la lettre est imprimée sur les billets : porte Z ! Tout le monde gruge, ça n’avance pas …Tout à coup elle jaillit de la file d’attente en criant à son fils de ne pas bouger, qu’elle revient,  et se précipite à la suite de l’individu reconnu. Un beau garçon d’environ 25 ans. Son âge presque. Elle lui fait 4 bises,  échange quelques mots avec lui l’air radieuse fait un signe à son fils pour qu’il se manifeste, pour que l’inconnu le repère, et puis retourne voir son fils les épaules légèrement plus basses qu’à l’aller. Cela fait presque 11 ans qu’elle s’est habituée à composer avec sa vie de jeune maman. Les compromis sont devenus de plus en plus monnaie courante au fur et à mesure que grandissait Joshua : « Tu mettras la table avant mon retour du boulot », « tu sortiras les poubelles le mardi soir », « à partir d’aujourd’hui maintenant que tu es un grand tu vas pouvoir  m’aider pour le ménage le samedi après-midi », « Voilà maintenant à 8 ans tu es un grand ! Alors pour ton anniversaire je t’ai offert un portable. Tu dois devenir responsable, vérifier qu’il est toujours chargé et allumé quand je ne suis pas avec toi. Je dois pouvoir te joindre à tout moment », « je t’ai laissé des pâtes, du jambon et des fruits, je sors ce soir. S’il y a le moindre problème appelle-moi sur mon portable et si je ne réponds pas n’oublie que Mme MARTIN est là, tu peux l’appeler ou aller sonner. Et sois gentil n’en profite pas pour te coucher tard ! » etc… Comme il était fier avec téléphone portable,  lui , le seul de sa classe a en avoir un parce que sa maman lui faisait confiance !  Il savait combien sa maman avait besoin de lui pour faire face à toutes les obligations de la vie : le travail, les soucis, les impôts, les charges domestiques, la rentrée scolaire avec son cortège de papiers à remplir, de chèques à faire, de courses à répétition : le cartable et les fournitures scolaires, les vêtements parce qu’il « grandissait trop vite ! » comme elle lui disait avec son petit air en coin, un clin d’œil mettant un terme à cette boutade. Alors il s’appliquait à l’aider du mieux qu’il pouvait : passer l’aspirateur, étendre la lessive, l’aider pour la vaisselle, ranger sa chambre, faire ses devoirs tout seul et surtout ramener des bonnes notes ! « Ne gâche pas ta vie comme moi, reste sérieux, pense aux études. Après tu pourras faire tout ce que tu voudras, même aller vivre à New York ! Mais pour ça il faut travailler à l’école sans relâche, tu le sais hein ? ».  Oui, il avait bien compris la litanie inlassablement répétée depuis son entrée en maternelle. Pas de salut sans la réussite scolaire. Et New York, son rêve à portée de main ! Bien sûr qu’il allait s’accrocher et réussir. Mais pas seulement pour New York ; pour sa maman également, pour lui offrir toutes les robes qu’elle se contentait d’admirer dans les vitrines, pour qu’elle aussi roule dans une jolie voiture. Un jour il lui offrirait une Minie rouge avec les décorations LONDON ! Il était sûr de son choix, c’est dans cette voiture là qu’elle se sentirait bien et qu’elle irait frimer  devant ses copines. Qu’elles copines ? Joshua n’en avait jamais rencontré une seule à part la voisine, Mme MARTIN qui habitait juste au dessus et qui était elle aussi mère célibataire. Mais Joshua n’était pas certain que sa voisine comptait comme copine ! Par contre,  Joshua avait croisé, quelques fois, le matin s’il se réveillait un peu plus tôt poussé par une envie pressante, des copains de Maman. Ils étaient toujours très étonnés de le croiser et avait du mal à faire sortir de leur bouche autre chose que quelques balbutiements incompréhensibles tu type « b’jour »  ou « s’lut ». Pas très causants en tout cas. Après, sa maman venait le voir, lui expliquait que le monsieur croisé était un copain qui avait besoin qu’on l’héberge un peu, juste quelques jours.  La première fois, surpris, il lui avait demandé en toute innocence « Mais il va dormir où le monsieur ? ». Et sa maman lui avait répondu avec un drôle de sourire : « dans ma chambre , on va installer un matelas gonflable, ca ira bien pour quelques jours ». Il avait trouvé l’idée super et s’était exclamé : « oh  maman stp, laisse moi dormir dans ta chambre sur le matelas gonflable ! Je lui prête ma chambre au Monsieur, allez STP, STP, STP ? ». Mais elle était restée de marbre, prétextant qu’il devait se reposer, être sérieux, travailler le soir à ses devoirs et donc qu’il avait besoin de sa chambre. Jamais il n’avait eu le droit au matelas gonflable ni à la chambre de sa mère. Et puis un jour, un monsieur un peu plus causant que les autres, était resté très longtemps. Sa maman était super contente qu’il soit là. Il était gentil avec Joshua, allant le chercher à l’école, l’emmenant au square après l’école et l’aidant pour les devoirs. Le seul problème c’est que quand Maman rentrait le soir, elle le voyait affalé devant la télé l’air un peu hébété un verre d’alcool à la main et la bouteille à moitié vide de l’autre. Et les disputes devenaient de plus en plus fréquentes :

« Arrète de boire ! »

 « J’en ai besoin »

« Mais quand vas-tu chercher du travail ? »

 « Et tu crois que j’en cherche pas ? Fait pas chier ! »

Jusqu’au jour où sa maman l’avait envoyé en week-end chez mamie et, quand il était rentré le dimanche soir, il avait constaté que l’ami de sa maman n’était plus là et le matelas avait disparu de la chambre. Tout était rangé, propre et sa maman lui a expliqué que le monsieur était retourné chez lui. En grandissant Joshua avait bien compris que les amis de maman étaient en fait des amoureux. D’ailleurs elle ne prenait même plus la peine d’installer le matelas pneumatique dans la chambre !

Sophie quand elle était petite, c’était la princesse parmi toutes les petites filles. Elle se démarquait systématiquement de ses paires par sa grâce naturelle, son charme indéniable et son côté mutin : jolie poupée blonde aux traits fins, équilibrés, menue mais jamais maigre, petite et toujours souriante, on avait envie au premier coup d’œil de la connaître, de lui parler, de rentrer dans sa sphère privée. En grandissant, devenue adolescente, elle avait un peu perdu de sa coquinerie pour se transformer en jeune fille charismatique. Etonnement mûre pour son âge, in tantinet  repliée sur elle, elle dégageait une forme de mystère tout aussi attirant finalement. Autant dire qu’à 15 ans elle en faisait chavirer des cœurs de garçons et rendait folles de jalousie certaines filles amoureuses des mêmes garçons qui n’avaient d’yeux que pour Sophie. Mais elle traversait tout cela avec une désinvolture non feinte. Jolie elle l’était et alors ? Cela lui facilitait la vie, lui permettait d’obtenir plus facilement certaines choses mais cette facilité elle l’avait toujours connue, c’était chose due pour elle. A peine si elle réalisait l’ampleur de son pouvoir de séduction. Et puis, l’été de ses 15 ans, elle avait enfin compris. Les vacances à la mer dont ses parents rêvaient depuis si longtemps avaient enfin pu se concrétiser, son père ayant enfin retrouvé du travail l’année précédente après 10 mois de chômage. Tout était rentré dans l’ordre, du moins financièrement, et on avait pu louer une place de camping pour deux tentes : une pour ses parents et une pour elle histoire de ne pas être les uns sur les autres. Et puis, ils n’avaient pas vraiment eu le choix puisque tout le matériel de camping avait été prêté par des amis de leur cité. Quinze jours près de la dune du Pilat à Arcachon !

 

Elle ignorait jusqu’à aujourd’hui que le paradis sur terre pouvait exister, n’ayant connu jusqu’alors que l’horizon de sa cité, de son quartier. Même la lumière du soleil lui semblait plus intense le jour, plus douce à l’aube ou à l’aurore. Plus orangée aussi. Et puis cet espace, cette vue à perte de vue justement. La liberté, l’envie de voler, de s’évader, de monter sur ces jolis voiliers qui semblaient flotter sur l’eau, petite coque blanche si fragile vue d’içi. Ces vacances, depuis que ses parents les lui avaient annoncées, elles les avaient rêvées mille fois, et chaque fois c’était différent. Même l’odeur du vent, sa caresse chaude sur son visage faisant flotter ses jolis cheveux blonds qui ne manqueraient pas de s’éclaircir encore, à moins qu’ils ne tournent au doré, légèrement auburn. Même le bruit des bateaux à moteur qui le matin à l’aube partent vers le large pour dénicher la sardine et le merlan que les touristes viendront acquérir directement sur la jetée, du moins pour ceux qui savent que les marins sont conciliants en été et qu’il est inutile d’aller jusqu’au marché. Elle avait imaginé le plaisir des yeux en regardant, émerveillée,  un livre emprunté à la bibliothèque qui décrivait avec moult photographies combien cette région qu’est l’aquitaine est jolie. Le bassin d’Arcachon, la dune du Pilat, le cap ferret, et puis un peu plus loin, Bordeaux cette ville magnifiquement restaurée entourée de ses vignobles à perte de vue, marée verte face à la marée bleue qu’est l’océan. Elle n’en finissait pas compulser cet ouvrage et de s’imaginer longeant la côte en humant l’air iodé, baignée de soleil et rafraîchie par la brise matinale. Durant des mois, elle avait cassé les pieds de sa mère pour refaire sa garde robe d’été, prétextant qu’elle n’avait plus rien à se mettre de correct, ayant trop grandit cette année. Elle avait volontairement lacérer sa paire de sandales de l’année dernière qui lui allait encore pour que sa mère cède et lui en rachète une paire à son goût. Chaque achat avait été minutieusement choisi et la patience de sa mère mise à rude épreuve : il ne fallait pas seulement que cela aille, il faillait également que cela s’harmonise avec sa paire de chaussures, son teint, son allure. Tout devait être parfait. L’horreur de l’horreur avait été le choix du chapeau. Malgré ses quinze ans, sa mère n’en démordait pas : il lui fallait un couvre-chef pour protéger sa peau délicate et ne pas se retrouver avec un nez couleur tomate. Sophie avait beau lui rétorquer qu’elle mettrait de la crème protectrice indice 50, sa mère, cette fois-ci, n’avait pas céder à ses yeux suppliants : « Et les insolations alors ? C’est la crème peut-être qui va t’en protéger ? ». Sophie ne voulant pas étouffer ses cheveux toute la journée dans un foulard, avait bien du céder à son tour, une fois n’est pas coutume. Mais elle y avait mis toute la mauvaise volonté dont elle pouvait s’acquitter, rendant folle de rage sa mère qui n’était pas dupe de son manège. Et quand, à bout de patience, sa mère lui intima l’ordre de faire un choix sinon ce serait un foulard et elle pouvait en être certaine, le plus laid que l’on puisse trouver, Sophie avait fini par se faire à l’idée, que, cette fois-ci rien n’y ferait, il faudrait trouver ce couvre-chef. Alors autant jouer le jeu : en choisir un seyant autant que faire ce peut et surtout horriblement cher ! Ca lui apprendra à ne pas m’écouter se disait-elle. Mais décidément, ce n’était pas son jour, et la clairvoyance de sa mère semblait toucher à son paroxysme : « Et ne t’avise pas de choisir le plus cher, un simple chapeau de paille fera parfaitement l’affaire ! ». Voilà-t-il pas qu’elle n’avait même plus le choix ! La mine dépitée, elle fini par accepter d’essayer l’affreux accessoire et de jeter un œil déprimé à la glace : Et là, miracle des miracles, sa jolie frimousse lui renvoyait l’image ravissante d’une jeune fille déjà en vacances. Que cela la changeait et lui allait bien finalement ! Et de croiser le regard goguenard de sa mère enfin soulagée de cette tâche !

La veille du départ, elle n’avait pas pu trouver le sommeil, toute excitée à l’idée de partir. Elle avait vérifié le contenu de sa valise au moins dix fois et munie de son livre en cours, le dernier Musso disponible qu’elle avait emprunté à la bibliothèque la veille, elle avait essayé vainement de se concentrer. Mais rien n’y faisait ses pensées tournaient en boucle sur le départ, sur les images de cette région qu’elle avait en tête, sur ses phantasmes. Le pauvre Guillaume se serait fait bien du soucis quant à son talent s’il l’avait vue rester une heure sur la même page ! Du coup, une fois dans la voiture, elle s’était écroulée de fatigue et n’avait ouvert un œil que 3H plus tard alors au tiers du voyage à peu près. Groggy de fatigue et de sommeil, elle avait pris son petit déjeuner que sa mère avait préparé pour faire des économies, le budget étant un peu serré : bouteille thermos de chocolat chaud et de café fumant, croissants et petits pains pré-beurrés dans la glacière, accompagnés de jus de fruit ou de petites bouteilles de yaourt aromatisé. Déjà ce festin sentait les vacances !

Arrivés à destination tout s’était subitement mis à s’accélérer : l’installation, la prise de connaissance du camping : les sanitaires, les machines à laver, les minis frigos que l’on pouvait louer pour avoir un peu de beurre, de mayo et de ketchup. Quelques yaourts, du jambon  et la boite en fer était déjà pleine ! Mais on se débrouillait et c’était plutôt amusant.  Et puis surtout elle n’avait pas été déçue par l’accès à la page, l’odeur des embruns mélangée à l’odeur des pins qui abondaient dans le camping. Et la vue : l’océan à perte de vue, et le doux bercement des vagues en bruit de fond. Le soir surtout au moment du coucher, elle l’entendait gronder. La première semaine, elle croisait quelques adolescentes comme elles  et  parfois de jeunes garçons qui lui souriaient en lui murmurant du bout des lèvres un petit « bonjour »  mais rien de plus. Et puis, un soir qu’elle était partie aux sanitaires pour laver la vaisselle du repas,  elle s’était retrouvée côte à côte avec l’un des garçons qu’elle avait déjà croisé plusieurs fois. Elle avait bien remarqué qu’il avait l’air un peu gauche et qu’il avait tendance à la reluquer par en dessous. Mais quand il la croisait, son sourire illuminait son visage et elle ne voyait plus que ses beaux yeux sombres ! Et elle ne pouvait s’empêcher de rougir, alors vite elle baissait la tête tout en lui rendant son salut. Mais là ce soir, il fallait bien faire bonne figure ! Pas question de rougir. Son cœur battait la chamade à tout rompre lorsqu‘elle a commencé à lui dire « Bonsoir » en même temps que lui. Ils ont rit et bien sûr elle a rougi !  « Mais qu’elle idiote ! Il va croire que je suis débile ! »  Etonnamment  il n’avait pas eu l’air de s’en rendre compte, continuant la discussion : « vous êtes là depuis longtemps ? »  « non pas trop seulement 5 jours » « Et vous comptez rester combien de temps » « Nous repartons le 15 juillet » « Et tu habites où ? on peut se tutoyer tu ne crois pas ? » « Oui, Oui, bien sûr. J’habite en région Parisienne à Courbevoie » « Ha mais je connais, je n’habite pas loin, à Asnières ».

A partir de là, la conversation s’était animée naturellement et la vaisselle avait mis un temps fou à se terminer. Au moment de se quitter, chacun espérant retarder le moment de la séparation, il lui avait demandé si elle allait à la soirée disco ce soir. Elle n’y avait pas vraiment pensé, préférant se plonger dans son Musso qu’elle avait presque fini. Mais là d’un coup, son Musso n’avait vraiment plus aucune espèce d’importance, il était évident qu’elle devait aller à la soirée disco avec lui, Eric, 17 ans et tout jeune bachelier avec mention TB, lui avait-il avoué dans leur conversation avec une certaine fierté. Et c’est ainsi que l’amour de Sophie pour Eric, le futur papa biologique de Joshua était né. Il leur restait 10 jours pour profiter de ces vacances idylliques. Dix jours durant lesquels chaque séparation était une torture, chaque retrouvaille un bonheur sans faille. L’étonnement devant la naissance des premiers émois, la douceur de la peau de l’autre, le trouble ressenti quand l’être aimé vous embrasse tendrement dans le cou ou sur la joue. La tendresse affichée, se promenant main dans la main, ou noyant leurs âmes dans les yeux de l’autre. La reconnaissance de l’odeur des corps, le travail des phéromones apprendrait-elle plus tard. Toute cette alchimie entre deux êtres qui s’aiment, qui se découvrent et ce, dans un cadre fantastique, les ont conduit à l’irréparable : un soir dans un coin reculé de la plage, il a installé la grande serviette éponge comme tous les soirs, mais à cette différence près que ce soir-là était le denier. Bouleversés à l’idée de devoir se quitter,  les deux jeunes amants se sont retrouvés enlacés et en larmes chacun souhaitant réconforter l’autre mais étant dans l’incapacité de refouler ses propres sentiments. Ils se sont alors allongés l’un contre l’autre pour se consoler. Mais déjà leurs mains fébriles désiraient le corps tout chaud de l’autre, doré par 15 jours de soleil.  Comment résister à l’appel des sens quand on a quinze  et dix-sept ans et que tout vous pousse au laisser aller ?   Elle avait guidé sa main, lui avait murmuré son désir. « Tu es sûre ? » « Oui ». Le regard brulant qu’elle lui avait alors lancé était suffisamment éloquent ! Et Joshua, qui n’était que la rencontre improbable d’un des millions de spermatozoïdes d’Eric  avec un ovule de Sophie, le tout en pleine période de fécondité, avait œuvré. A partir de cette nuit du 14 juillet, sous une pluie de feux d’artifices fêtant le nouveau conçu, Joshua s’était mis à grandir.

Elle a pleuré quand elle a compris l’inéluctable,  début septembre et a téléphoné paniquée à Eric. « Tu es sûre ? «  « Oui j’ai acheté un test,  mais qu’est-ce que je dois faire ? »  « Ne panique pas, on va trouver une solution » « on peut se voir demain ? » « j’ai du boulot, je rentre en prépa dans 2 jours, lundi . Je te rappelle pour le RDV, promis ! Je t’aime ». Elle avait patienté tout le samedi, sursautant à chaque sonnerie du téléphone et se précipitant pour être celle qui décroche. Mais il n’avait pas appelé ni sur son portable ni sur le fixe de la maison. Le Dimanche, à bout de nerf, elle l’avait appelé vers midi mais le téléphone a sonné dans le vide et sur son portable elle a laissé un message. Elle a rappelé ensuite toutes les heures, laissant sonner  indéfiniment à chaque fois, priant pour que quelqu’un décroche. Finalement, le soir vers 22H, la mère d’Eric a décroché.

 «Bonsoir Madame, c’est Sophie, désolée de vous dérangez si tard mais est-ce que je peux parler à Eric s’il vous plait ? »

« Ah bonsoir ma petite Sophie, mais Eric est déjà installé dans son studio proche de sa prépa à Paris ! »

« Ah je ne savais pas qu’il devait partir aujourd’hui, je peux le joindre ? »

 « Désolée ma petite mais nous avons refusé de lui installer le téléphone. Il est en plein Paris, et ce ne sont pas les cabines qui manquent. Et puis il a son portable. Je suis sûre qu’il t’appellera bientôt ! » « Oui sûrement, merci madame, bonsoir. »

 « Bonsoir, Sophie et à bientôt. »

Une semaine s’était écoulée sans qu’il l’appelle. Une semaine d’angoisse, de doutes,  balancée entre l’idée de se débarrasser coûte que coûte de cette sangsue et la tendresse à l’idée de mettre au monde un petit Eric qui aurait certainement ses yeux. Une semaine à se demander comment on devait procéder dans les 2 cas, quel serait son avenir, comment elle élèverait cet enfant alors qu’elle était totalement incapable de survenir à ses propres besoins ?  Des centaines de questions sans réponse se bousculaient dans  sa tête en une farandole affolante : Comment réagiraient ses parents ? et ceux d’Eric ? Comment leur annoncer la nouvelle ? Devaient-ils en parler ou pouvait-elle se faire avorter sans que leurs parents ne soient au courant. Dommage qu’Eric ne soit pas majeur avant 3 mois se disait-elle. Cela aurait tellement simplifié les choses ! Et elle pensait alors avec tendresse que le papa était un gentil garçon,  et surtout très doué pour son jeune âge, promis à un bel avenir. Avait-elle le droit de mettre en danger cet avenir pour un écart de quelques minutes ? Le samedi suivant elle n’y tenait plus et avait pris sa décision : coûte que coûte il fallait crever l’abcès, prendre une décision commune et s’y tenir. Peu lui importait le choix à venir, ce qu’elle voulait c’est être soutenue, épaulée et avancer. En finir avec cette tension, ses questions  et ses doutes ! Elle allait donc sonner chez ses parents et lui demander pourquoi ce silence. Mais quand elle découvrit les volets clos du pavillon familial elle cru qu’elle allait s’évanouir ! Comment était-ce possible, Eric ne rentrait pas le week-end ? Furieuse et dépitée elle rappela Eric sur son portable et pour la nième fois lui laissa un message mais cette fois-ci il allait en prendre pour son grade : « Tu ne peux pas me laisser comme ça ! Tu dois me rappeler ! Où es-tu ? Nous devons prendre une décision pour le bébé c’est urgent je suis presque à 2 mois de grossesse d’après mes calculs ! Dis-moi ce que je dois faire nom de Dieu ! RAPPELLE BRODEL ! ». Aussitôt raccroché, elle se sentie à la fois soulagée et triste à mourir. Et s’il avait choisi de l’abandonner, de disparaître de la circulation, qu’elle  décide toute seule ? Encore et encore cette farandole interminable des questions sans réponse. Et d’un coup d’un seul, prise d’une violente nausée, sa première, elle se mit à rendre son petit déjeuner dans le caniveau ! Il ne manquait plus que ça !

Elle avait fini par admettre que tous l’avaient abandonnée : le pavillon était toujours fermé et ce depuis plus d’un mois. Comment était-ce possible ? Où étaient passés les parents d’Eric ? Et pourquoi  Eric ne la rappelait-il pas ? 3 mois !  Elle s’était renseignée au planning familial prétextant qu’elle faisait des recherches pour  un exposé en sciences naturelles !  Il ne lui restait que très peu de temps pour prendre une décision. Il fallait qu’elle s’y attèle. Et son ventre commençait à bien s’arrondir. Heureusement, les nausées étaient parties aussi vite qu’elles étaient venues. Toujours ça de moins à gérer. Et puis elle dévorait, avalant tout ce qui lui tombait sous la main. Conséquence de cette orgie de nourriture, elle avait déjà pris 5 kilos et sa mère lui avait d’ailleurs fait une remarque à ce sujet : « Tu devrais faire attention ma puce, tu as tendance à l’embonpoint en ce moment ! ».  Sans compter les notes catastrophiques qu’elle accumulait en ce moment ! « Ca ne peut plus durer !  Bon c’est décidé : demain je passe au planning et je me lance ».

Ils ont été très gentils. Elle n’arrive pas à dire mon bébé. Elle ne veut pas. Si elle se l’approprie elle n’aura plus le choix. Le mieux c’est de garder de la distance. Elle a vu un docteur qui a fait sa première échographie et elle a entendu les battements du cœur du bébé. Voir et  entendre ce petit être se battre déjà pour son avenir a tout changé. Elle est tellement heureuse quand le médecin lui annonce que tout va bien. Elle demande si l’on peut savoir s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. Il lui répond que comme le bébé est bien placé il est presque sûr à 100% de son diagnostique, est-ce qu’elle veut savoir ? « Oui ! ». « C’est un garçon ». Il ne lui a pas demandé si cela lui faisait plaisir, mais il a bien remarqué que la partie était gagnée : cette petite va garder son bébé ! Il fera donc le nécessaire pour qu’elle rencontre rapidement le psychologue et l’assistante sociale pour qu’ils lui expliquent bien ses droits de fille-mère. Son métier à lui, c’est de mettre des bébés au monde pas de les faire passer même s’il accepte intellectuellement  que certaines conditions sont effroyables, qu’il n’y a pas d’autre possibilité que l’avortement, c’est toujours un échec pour lui quand une jeune femme décide d’un avortement. Alors, quand il remarque les yeux humides de cette jolie petite poupée, il prétexte un coup de fil rapide à passer pour la laisser admirer la photo de son bébé et commencer à  faire connaissance en quelque sorte. Il passe voir son collègue le psy et lui explique qu’il s’agit d’une urgence. Le Psy a compris et décide en une fraction de seconde« tant pis pour la pause déjeuner » et suit son collègue. Il va avoir une longue et gentille discussion avec Sophie, lui expliquant bien qu’elle a le droit de ne pas en parler à ses parents, qu’on peut lui trouver une place en foyer si elle le désir mais que de toutes les façons il faudra bien en parler un jour. Il ne parle pas d’avortement, car lui aussi a compris qu’elle sera incapable maintenant de supprimer cette vie. Il lui dit que de toutes les façons, un jour ou l’autre il faudra bien avouer la vérité et que plus tôt sera le mieux. Est-ce qu’elle a du temps pour rencontrer l’assistante sociale ? « Oui ». De toutes les façons elle a déjà séché tous les cours de la matinée alors autant en finir !

Une fois le rendez-vous terminé avec l’assistante sociale tout le monde lui rappelle qu’elle doit impérativement prendre une décision d’içi la fin de semaine car légalement il ne lui reste plus beaucoup de temps. Mais elle sait au fond d’elle-même que quelque chose à changé : c’est un garçon. Elle porte l’amour de sa vie dans ses chairs, elle l’a entendu,  elle l’a vu. Peu importe les obstacles, elle est courageuse. Et puis elle ne sera plus jamais seule !

Et elle se retrouve près de 11 ans après à réagir comme une gamine accompagnée de Joshua qui, et c’est tant mieux, n’a absolument pas les yeux de son père ! Non, contre toute attente dame nature lui a donné de beaux yeux bleus comme sa maman. Avec le temps, Sophie a oublié jusqu’aux traits d’Eric. Elle n’est même pas sûre que si elle le rencontrait elle pourrait le reconnaître. A partir du jour où elle est rentrée du planning familial elle a tout avoué à ses parents : qu’elle le garderait coûte que coûte même si elle se rendait bien compte que cela serait extrêmement difficile. Tout le monde a pleuré et ses parents l’ont entouré de tout leur amour et leur soutien. Non , elle n’était pas vraiment seule ! Et ne l’a jamais été !

Ils ont enfin passé les portes d’entrée et découvrent le stade de France en feu : un évênement assez spécial ce soir : URBAN PEACE 3 ! 5H de RAP et de HIPHOP ! Elle a fait l’effort d’acheter ses deux places pour l’anniversaire de son fils. 2 mois qu’elle lui cache la bonne surprise et ce soir c’est le grand soir, ils sont dans l’arène. STOMAE arrive et met le feu, titubant sur scène, jouant merveilleusement à l’acteur : une bouteille d’alcool à la main et la mine déconfite sur grand écran il se lance dans sa chanson :  « Formidable » puis entame « ALORS on danse ». Sophie est heureuse de voir le bonheur de son fils, son rayonnement. Malgré la fatigue, les déceptions sentimentales accumulées,  malgré un travail pas toujours de tout repos, malgré les fins de mois difficiles, les soucis, elle est heureuse car elle a son trésor, devenu l’amour de sa vie et elle sait qu’il a un bel avenir devant lui, Alors elle chante et elle danse !

Alors on danse... (X3)

Qui dit étude dit travail,
Qui dit taf te dit les thunes,
Qui dit argent dit dépenses,
Qui dit crédit dit créance,
Qui dit dette te dit huissier,
Lui dit assis dans la merde.
Qui dit Amour dit les gosses,
Dit toujours et dit divorce.
Qui dit proches te dit deuils car les problèmes ne viennent pas seuls.
Qui dit crise te dit monde dit famine dit tiers- monde.
Qui dit fatigue dit réveille encore sourd de la veille,
Alors on sort pour oublier tous les problèmes.

Alors on danse... (X9)

Et la tu t'dis que c'est fini car pire que ça ce serait la mort.
Quand tu crois enfin que tu t'en sors quand y en a plus et ben y en a encore!
Est-ce la zik ou les problèmes, les problèmes ou bien la musique.
Ca t'prend les tripes ca te prend la tête et puis tu pries pour que ça s'arrête.
Mais c'est ton corps c'est pas le ciel alors tu t'bouches plus les oreilles.
Et là tu cries encore plus fort et ça persiste...
Alors on chante
Lalalalalala, Lalalalalala,
Alors on chante
Lalalalalala, Lalalalalala

Alors on chante (x2)
Et puis seulement quand c'est fini, alors on danse.
Alors on danse (x7)
Et ben y en a encore (X5)